Dans cette interview accordée à iGlobenews, le metteur en scène Milo Rau partage sa vision pour transformer le Festival de Vienne « Wiener Festwochen » en « République libre de Vienne », un format de festival ouvert et participatif. De l’équité dans les arts aux débats animés sur la culture et la célébration de la liberté et de la créativité, M. Rau révèle comment le festival trouve un écho auprès du public viennois d’aujourd’hui.

Interview d’iGlobenews avec Milo Rau : directeur du Wiener Festwochen

« Nous ne devons pas oublier le passé, mais le faire résonner dans le présent » – Milo Rau

Alors que l’édition annuelle du Festival de Vienne Wiener Festwochen / République libre de Vienne touchait à sa fin le 21 juin, iGlobenews a eu l’occasion d’interviewer son directeur artistique, Milo Rau. Le Wiener Festwochen est, avec le Festival d’Avignon en France, l’un des plus grands festivals crossover d’Europe. Pendant 38 jours, de la mi-mai à la fin juin, les festivaliers viennois peuvent profiter d’un large éventail de spectacles mêlant différents genres (théâtre, musique, danse), d’événements, de conférences, de concerts, de fêtes et bien plus encore. M. Rau, metteur en scène et auteur prolifique qui a publié plus de 100 pièces de théâtre, films, livres et campagnes, et dont les productions théâtrales ont été présentées dans tous les grands festivals internationaux, a pris la direction artistique du Wiener Festwochen il y a un an. iGlobenews lui a demandé d’approfondir un peu plus sa vision artistique et d’expliquer les changements que le festival a connus sous sa direction.

iGlobenews : Le festival Wiener Festwochen existe depuis les années 1950. Depuis que vous en avez pris la direction artistique, en 2024, vous avez changé son format pour le Wiener Festwochen / Free Republic of Vienna, et vous parlez d’une nouvelle forme de festival, « un festival du futur ». Il est assez novateur d’avoir un festival construit comme une république, avec une constitution (la Déclaration de Vienne), un conseil, des congrès. Comment ce concept est-il né et pourquoi avoir abandonné le format plus classique du festival tel qu’on le connaissait auparavant ?

Milo Rau : Le mot « république » vient du latin et signifie littéralement « res publica » ou « affaire publique », ce que nous appellerions aujourd’hui les affaires publiques. Il est inclusif sur le plan étymologique et pose une question cruciale : « Que veut la ville ? ». En ce sens, mon objectif était de créer un cadre interactif et d’inviter des personnes de tout horizons à collaborer à la création et à la structure du festival (c’est-à-dire le Conseil de la République libre). Nous avons ainsi observé une évolution rapide d’un public plutôt bourgeois vers un public plus diversifié, comprenant également des jeunes et des personnes qui ne fréquentent généralement pas les festivals de théâtre et d’art. Notre objectif est également de rééquilibrer l’équité, par exemple l’équité entre les sexes dans la musique, y compris la musique classique, où elle fait encore nettement défaut. L’initiative du festival Academy Second Modernism, qui promeut les compositrices du monde entier, en est le meilleur exemple.

Je considère que le « festival du futur » est, dans son essence, plus conscient de lui-même et plus autocritique que par le passé. Lors de la première édition en 2024, nous avons posé les fondements de la République libre de Vienne en adoptant le Conseil (un comité composé de quatre-vingts citoyens viennois, dont des étudiants, des employés, des indépendants, des demandeurs d’emploi et des retraités, des Viennois et des demandeurs d’asile, entre autres), en installant notre campement à la Maison et au Club de la République (situés dans le Funkhaus, dans le 4e arrondissement) et en établissant le format de débat, les Congrès de Vienne. La deuxième édition, qui s’est terminée le 21 juin, était centrée sur le thème « République de l’amour ».

Je dois dire que depuis que j’ai pris mes fonctions de directeur artistique du Wiener Festwochen, j’ai été agréablement surpris de la rapidité avec laquelle les gens ont adhéré au changement. J’ai mis à profit ce que j’avais appris de mon expérience précédente en tant que directeur artistique du théâtre NTGent, en Belgique, et j’étais donc assez optimiste quant à la mise en œuvre de ces changements au Wiener Festwochen.

iGlobenews : Pourriez-vous en dire plus à nos lecteurs sur les Congrès de Vienne ?

M.R : Les congrès de Vienne sont des discussions longues et approfondies qui abordent des sujets très épineux dans le domaine des arts à l’échelle mondiale. Cette année, nous avons traité des guerres culturelles et de la cancel culture, ainsi que de l’art et des abus. Nous avons par exemple analysé le cas du groupe allemand Rammstein et la controverse qui l’entoure. Nous nous efforçons d’approfondir le sujet afin de comprendre les problèmes structurels et ce qui n’a pas fonctionné. Les congrès s’étendent sur plusieurs jours et réunissent un jury d’experts, de spécialistes et de délégués de notre Conseil qui interrogent des professionnels et parfois des témoins et des experts juridiques. Parfois, les congrès sont organisés davantage comme un tribunal, avec un jury, parfois davantage comme un procès, avec des avocats et des experts juridiques. Il est clairement nécessaire que la ville discute, écoute et comprenne ces préoccupations. Les congrès de Vienne visent à répondre à ce besoin.

iGlobenews : Comment attireriez-vous de nouveaux publics, par exemple des personnes qui ne sont pas particulièrement habituées aux arts du spectacle contemporains ? Que diriez-vous à ceux qui considèrent Vienne avant tout comme une ville diplomatique et l’associent davantage à son héritage classique, en négligeant peut-être sa scène contemporaine florissante ? Comment les inciteriez-vous à s’intéresser à vous ?

M.R : Outre la couverture médiatique accrue visant à toucher un public aussi large que possible, la Maison de la République sert également cet objectif. La Maison et le Club de la République sont situés dans le Funkhaus, l’ancien bâtiment de la radio dans le 4e arrondissement, que nous avons conçu comme un espace ouvert qui accueille et inclut tout le monde, pas seulement les amateurs de spectacles, et ce à tout moment. Nous espérons bien sûr qu’une fois que les gens viendront à la Maison et y prendront goût, ils seront également motivés pour assister aux spectacles, aux événements, etc. Les gens aiment se sentir les bienvenus, et la Maison de la République est leur lieu et atteint cet objectif, qu’ils finissent par assister aux spectacles ou non. Notre stratégie a porté ses fruits, car nous avons enregistré un taux d’occupation de 93 % cette année.

En ce qui concerne le côté plus traditionnel de Vienne, vous savez, je suis moi-même plutôt traditionaliste. Le contexte géopolitique riche et complexe de Vienne doit être pris en compte dans ce que nous faisons. Nous devons inclure la tradition classique et la scène classique ; il ne s’agit pas ici de deux mondes différents, il existe un fil conducteur qui relie la scène classique à la scène contemporaine. Je pense que nous ne devons pas oublier le passé, mais le faire résonner dans le présent.

iGlobenews : Comment sélectionnez-vous les œuvres pour le festival ? Doivent-elles toutes avoir un message sociopolitique ?

M.R : Je considère que ces œuvres sont dans l’intérêt de la ville. C’est pourquoi nous cherchons à présenter un mélange qui plaira à tout le monde, jeunes, agés, étudiants, intellectuels, amateurs de culture pop, etc. Il n’est pas nécessaire que ce soit ouvertement politique, certaines œuvres sont profondément poétiques et métaphoriques, mais d’une certaine manière, on regarde toujours les choses avec un œil politique. Il existe un dicton célèbre qui dit « la résistance n’a pas de forme, la résistance est la forme ». Je pense qu’il incarne assez bien ce que nous nous efforçons de transmettre à travers les œuvres présentées au Wiener Festwochen / Free Republic of Vienna. Avant tout, nous voulons créer un lien avec notre public, avec amour et un respect sincère.

Parfois, il faut réagir de manière plus directe. C’est dans cette optique qu’a été lancée la campagne Resistance Now, afin de protéger la liberté d’expression des artistes et des institutions publiques à travers le monde, et de promouvoir un nouveau cadre juridique au niveau européen (en collaboration avec l’UE) : l’European Culture Freedom Act.

iGlobenews : Pour finir, le thème du festival de cette année était « Republic of Love ». Pouvez-vous nous dévoiler le thème de l’année prochaine ?

M.R : Malheureusement, je ne peux pas encore le faire, c’est trop tôt ! Dans quelques mois, je pourrai vous le dire !

iGlobenews : Nos lecteurs devront donc patienter encore un peu ! Merci, Milo Rau, pour cette interview !

M.R : Merci !

Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site du Wiener Festwochen / Free Republic of Vienna :
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Milo Rau – Wiener Festwochen

Photo : Milo Rau © Bea Borgers, Wiener Festwochen.
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