L’année 2025 a été proclamée par l’ONU Année internationale de la science et de la technologie quantiques (IYQ). Cette année marque le centenaire du développement de la mécanique quantique. L’un des phénomènes les plus fascinants et fondamentaux du monde quantique est l’intrication, une connexion profonde entre deux particules qui défie la vitesse de la lumière. Le professeur Burgdörfer s’est entretenu avec iGlobenews au sujet d’une récente collaboration entre l’Université technique de Vienne (TU Wien) et des chercheurs de l’Université des sciences et technologies de Pékin. Leurs découvertes ont ouvert un nouveau champ de la physique, qui traite de phénomènes à des échelles de temps inimaginablement courtes, de l’ordre du milliardième de milliardième de seconde, soit l’attoseconde.
Lukas Barcherini Peter
20 octobre 2025
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Les lois de la physique quantique s’appliquent aux particules les plus petites, telles que les électrons ou les photons. Au cœur de ce monde se trouve le concept de quantum, la plus petite unité possible qui ne peut être divisée davantage. Contrairement aux objets que nous voyons, les particules quantiques ne suivent pas les mêmes règles physiques. Au lieu de se déplacer de manière prévisible, elles peuvent exister en superposition, c’est-à-dire dans plusieurs états à la fois. Par exemple, on sait que les électrons tournent autour de leur propre axe. Cependant, un électron tourne simultanément vers le haut et vers le bas. Ce n’est que lorsqu’il est mesuré que l’électron « choisit » un état défini.
Plus étrange encore est le concept d’intrication quantique, selon lequel deux particules quantiques deviennent si profondément liées que l’état de l’une influence immédiatement l’état de l’autre, quelle que soit la distance qui les sépare.
Lorsque deux électrons sont intriqués, leurs spins sont parfaitement corrélés : si l’on mesure un spin vers le haut sur un électron, on constatera instantanément que l’autre électron a un spin dans la direction opposée. Théoriquement, cela reste vrai même si les deux électrons sont séparés par des millions d’années-lumière. Si l’information sur la direction du spin était transmise de manière classique, par exemple par un faisceau lumineux codé en morse, il faudrait des millions d’années pour parcourir cette distance, mais avec l’intrication quantique, la connexion semble instantanée. Albert Einstein a décrit ce phénomène comme une « action fantomatique à distance ».
Dans une interview exclusive accordée à iGlobenews, le professeur Joachim Burgdörfer, coauteur d’un article fondateur sur cette question et professeur à l’Institut de physique théorique de l’Université technique de Vienne (TU Wien), a illustré le concept d’intrication à l’aide d’un exemple frappant : imaginez un atome d’hélium contenant naturellement deux électrons, l’un avec un spin vers le haut, l’autre avec un spin vers le bas. Supposons que ces électrons soient intriqués mais séparés : l’un se rend à Budapest, l’autre à Linz. Si nous mesurons le spin de l’électron de Budapest et constatons qu’il est vers le haut, nous savons instantanément que l’électron de Linz doit être vers le bas. Cela découle du fait qu’une paire d’électrons provenant du même atome d’hélium a un spin combiné de zéro. Si un spin est vers le haut, l’autre spin doit être vers le bas.
Le point essentiel de l’intrication réside dans la manière dont la mesure est effectuée. Si le spin est mesuré à Budapest selon un axe différent, par exemple latéralement plutôt que verticalement, ce choix influence directement le résultat à Linz. C’est ce que Burgdörfer appelle la « contextualisation » : l’idée que la nature d’une mesure détermine les conditions d’interprétation de l’autre. Aucun signal n’est échangé, mais l’état quantique global réagit à la mesure qui a été effectuée. Avant même que l’électron de Linz ne soit mesuré, son résultat est déterminé par ce qui a été fait à Budapest. Selon Burgdörfer, c’est cet aspect profondément contre-intuitif qui rend l’intrication si puissante et si mal comprise.
Dans son étude publiée dans le Physical Review Journal, le professeur Burgdörfer et ses partenaires chinois ont développé des simulations qui suivent la formation de l’intrication quantique au fil du temps, jusqu’à 223 attosecondes.
L’équipe a simulé l’interaction d’un laser à haute fréquence avec un atome. Normalement, une telle impulsion éjecte un seul électron de son orbite autour du noyau de l’atome. Si le laser est suffisamment intense, il peut également déplacer un deuxième électron vers une orbite différente, correspondant à un niveau d’énergie différent. Dans leur simulation, un électron a été complètement éjecté tandis que l’autre a été éjecté vers une autre orbite.
Les chercheurs ont découvert que lorsqu’un électron est éjecté et qu’un autre se déplace, les deux deviennent intriqués, ce qui signifie que leurs états ne pouvaient plus être décrits indépendamment. Plus surprenant encore, le moment où le premier électron quittait l’atome – le « moment de naissance » – n’était pas fixe ; il existe dans une superposition de temps, quittant à la fois plus tôt et plus tard. En analysant les changements subtils dans l’énergie de l’électron restant, l’équipe a reconstitué ce processus. Celui-ci s’est déroulé en seulement 232 attosecondes, montrant que l’intrication apparaît progressivement, et non instantanément. (1 attoseconde = 10 puissance -18 seconde)
La percée du professeur Burgdörfer s’appuie directement sur les recherches récompensées par le prix Nobel 2023, qui ont permis de développer des impulsions lumineuses de l’ordre de l’attoseconde pour observer le mouvement des électrons en temps réel, et dont les lauréats comprennent le professeur Ferenc Krausz de l’université technique, qui a démontré que le mouvement des électrons a une durée mesurable. Les travaux du professeur Burgdörfer poursuivent cette avancée en utilisant des simulations pour montrer que l’intrication a également une structure dans le temps. Bien qu’il s’agisse encore d’un article théorique qui doit être validé expérimentalement, cette recherche ouvre un nouveau chapitre dans la dynamique quantique attoseconde, un domaine de recherche totalement nouveau.
Bien que l’article de Burdörfer n’aborde pas directement l’un des sujets les plus discutés dans la recherche quantique, à savoir la communication quantique, il met en lumière les phénomènes qui sous-tendent la technologie utilisée : « Nous sommes tous confrontés à cela dans notre vie quotidienne, par exemple à la caisse du supermarché : lorsqu’un code-barres est scanné, un laser est utilisé. Et ce laser est basé sur les principes de la physique quantique », explique le professeur Burgdörfer.
À l’inverse, la communication quantique fonctionne à une échelle de temps très différente. Au lieu de se concentrer sur les attosecondes, les chercheurs cherchent à préserver l’intrication pendant des périodes prolongées de plusieurs secondes ou minutes. L’objectif est d’utiliser ces liaisons quantiques stables pour établir des communications sécurisées et inviolables. Ici, le défi n’est pas la vitesse, mais le maintien de la cohérence dans le temps afin de garantir une transmission ininterrompue et fiable.
Le monde quantique est en train de devenir rapidement la prochaine grande frontière de la physique. Ce qui semblait autrefois incompréhensible est aujourd’hui exploré et compris. Einstein qualifiait la mécanique quantique de « fantomatique », mais ce mystère s’estompe à mesure que l’on approfondit notre compréhension. Comme l’explique le professeur Burgdörfer, si nous acceptons quelques hypothèses, telles que le fait que certaines particules se comportent comme des ondes, à l’instar des photons de lumière, alors la physique classique, comme les lois fondamentales de Newton, se transforme en douceur en théorie quantique. Les recherches en cours, en particulier à des échelles de temps ultra-rapides, continuent d’apporter des éclaircissements sur ce qui semblait autrefois inconnaissable.






